Maxime Guillaud, Matthieu Chéreau : « Inventer les villes durables »

Bertrand Coty
28/03/2022


Maxime Guillaud est Diplômé de l’école Centrale Nantes et de HEC Paris, serial-entrepreneur il a pour domaines de prédilection la construction, l’énergie, la mobilité et les services publics. Matthieu Chéreau est Diplômé de Sciences-Po Paris, il accompagne des start-ups dans le domaine de la transition énergétique, de l’environnement et de l’économie circulaire et pilote des projets innovants pour le compte de collectivités.



Maxime Guillaud, vous publiez avec Matthieu Chéreau aux éditions Dunod : « Inventer les villes durables ». Quel constat faites-vous de la situation des villes dans le contexte de crise climatique, pouvez-vous nous décrire la situation ?

La ville durable en France est un sujet vieux de 15 ans. Des plans se sont succédé, de plus en plus volontaristes, entraînant la mise en œuvre de nombreux quartiers (éco-cités, écoquartiers) et d’expérimentations plus nombreuses encore. Cela a donné lieu à l’émergence de secteurs entiers, à l’apparition de nouveaux outils et métiers. Mais les innovations, dans de nombreux cas, sont restées cantonnées à des zones nouvelles, où tout était à inventer.
Aujourd’hui, les villes doivent se transformer de façon plus globale et rapide pour faire face notamment aux risques climatiques. Il faut passer de la phase artisanale de la ville durable, à la phase industrielle. Cela requiert une réflexion profonde tant sur les outils et les métiers que sur les méthodologies de production de la ville. Il nous semble que cela n’est pas encore en place et qu’une marge de progression importante existe.

Vous évoquez le besoin d’une transition pérenne. Quelle en est la substance ?

Il ne s’agit pas d’un besoin, mais d’une nécessité si l’on considère les risques externes liés à la crise climatique notamment, et les risques internes liés à l’habitabilité des villes.

Les villes œuvreront à être plus durables, en travaillant à être plus résilientes, autonomes, inclusives et saines. Celles qui ne s’engagent pas dans cette démarche seront à terme condamnées à disparaître ou à être désertées, ce qui revient au même.

Comment envisagez-vous une adhésion des acteurs et utilisateurs de la ville à cette nouvelle organisation ?

Nous pensons plutôt qu’il faut envisager les choses sous le prisme de l’engagement, plutôt que de la simple adhésion, car ces transformations requièrent une implication forte. On voit que les villes s’engagent de plus en plus à atteindre des objectifs structurants, notamment en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Pour tenir ces objectifs, elle doit reposer sur des acteurs offrant des solutions innovantes et scalables. Les acteurs qui ne sont pas désireux ou capables d’accompagner ce mouvement perdront en pertinence sur le marché et seront marginalisés, comme c’est le cas dans d’autres secteurs d’activité. Les acteurs de l’énergie l’ont bien compris, amorçant leur transformation en profondeur, et pas seulement dans leur branding.

Ensuite, nous pensons que les utilisateurs doivent aussi être des acteurs du changement. Pour nous la transformation des villes doit être “chorale”. Nous avons imaginé cette notion pour deux raisons : en tant qu’acteurs de l’innovation, nous savons qu’une innovation n’est désirable que si elle l’est pour l’utilisateur final. Ensuite la ville est l’affaire de tous, sa transformation - si elle est nécessaire - doit se faire de façon démocratique, faute de quoi elle sera subie et donc potentiellement ratée. La transformation chorale implique de placer l’utilisateur comme spectateur actif des travaux de transformation, ayant voix au chapitre à chaque étape, pour maximiser les chances de succès.

Plus spécifiquement, selon vous, quels sont les nouveaux comportements et les modalités à mettre en œuvre immédiatement ?

Le succès repose sur la superposition de mesures qui sont complémentaires :
Tout part du droit, qui devra être de plus en plus contraignant. Mais un droit clair, qui évolue vite. À cet égard, la mise en œuvre de la Réglementation Environnementale 2020 a été longue et fastidieuse et ne prendra effet que de façon graduelle, selon les secteurs, dans les années à venir. D’un côté il est compréhensible que le droit, qui impacte fortement les entreprises, évolue de la sorte. Mais il doit évoluer plus rapidement, pour permettre aux acteurs de tendre concrètement vers les objectifs d’émissions à l’horizon 2030-2050.

En matière de financement, les initiatives ne manquent pas et le plan de relance est structurant. Mais rien ne sert de financer la transformation si ses artisans n’ont pas les moyens effectifs de la mettre en œuvre : cela requiert une organisation, des compétences, des outils et des méthodologies nouvelles. C’est là qu’il nous semble que le bât blesse. Cela requiert plus de R&D et de formation, plus d’agilité et de participation (d’où la transformation chorale), une vraie réflexion sur les outils numériques (de conception et de pilotage de la ville).

Ces actions ne sont utiles que si elles sont menées de front. On ne peut plus croire qu’il suffit d’investir pour faire la ville durable, rien n’est moins vrai. Enlevez la formation, vous vous retrouvez avec des artisans qui ne savent ni pourquoi ni comment faire la ville durable. Enlevez les outils et les savoir-faire autour de la digitalisation de la ville : pour perdez la possibilité de diagnostiquer l’existant, de modéliser le futur et de piloter le présent. Au final, nous plaidons pour une stratégie cohérente et partagée.